Leçons tirées de la grève au BVG
Le 2 avril, les membres de l’AFPC au Bureau du vérificateur général du Canada (BVG) ont voté en très grand nombre en faveur de la ratification de leur nouvelle convention collective durement gagnée, au terme d’une grève de 128 jours, en pleine pandémie.
Cette convention règle des enjeux d’importance, dont l’adoption d’une grille à cinq niveaux pour tous, des augmentations économiques équitables, des améliorations aux congés familiaux et pour aidants, et l’ajout d’un libellé sur les congés pour cause de violence familiale.
Faire la grève en pleine pandémie
La grève de 2021-2022 des 170 membres du BVG était non seulement la première dans l’histoire du Bureau, mais aussi la première grève générale de l’AFPC pendant une pandémie.
La grande majorité des membres du Groupe des services à la vérification (GSV) faisait du télétravail depuis près de deux ans. Les occasions de mobilisation et la possibilité d’intensifier les moyens de pression en personne étaient extrêmement limitées. Nous avons dû revoir totalement bon nombre de nos stratégies de mobilisation habituelles pour les adapter au contexte virtuel.
« Avant la grève, les membres du GSV étaient divisés en équipes très différentes au bureau, même s’ils forment en réalité un très grand groupe. Nous avons su collaborer à merveille, et la grève nous a rassemblés comme jamais », explique Marie-Ève Tremblay, membre de l’équipe de négociation.
Repenser la mobilisation
Comme les négociations stagnaient, les membres ont adopté des fonds d’écran et des blocs de signatures électroniques comportant des messages de soutien à leur équipe de négociation, en remplacement des traditionnels macarons, cordons et bracelets, moins visibles en virtuel qu’en présentiel. Avant le lancement d’un outil pour l’envoi de courriels, visant à faire pression sur l’employeur et à obtenir l’appui du public, les membres du BVG ont été invités à signer une pétition portant sur leurs revendications. Les leaders locaux ont ainsi pu déterminer le niveau de la mobilisation et cerner les personnes qui manquaient à la liste, en vue d’avoir avec celles-ci des discussions individuelles.

Lors des rassemblements virtuels du midi, les membres étaient invités à porter des vêtements d’une même couleur et à utiliser les fonds d’écran fournis pendant que l’équipe de négociation faisait le point et répondait aux questions.
Lors des rassemblements virtuels du midi, les membres étaient invités à porter des vêtements d’une même couleur et à utiliser les fonds d’écran fournis pendant que l’équipe de négociation faisait le point et répondait aux questions. Insatisfaits de l’évolution des négociations, les membres ont rapidement ressenti le besoin d’accroître les moyens de pression.
La section locale a formé un comité de mobilisation, puis créé un groupe WhatsApp, pour permettre aux membres du comité d’échanger des idées et de proposer des tactiques. Parmi les 170 membres, 50 se sont joints au groupe, et les plans de mobilisation ont pris leur envol. Durant ses réunions périodiques, le comité de mobilisation discutait de stratégies et de tactiques, et formulait les propositions à soumettre à l’ensemble des membres afin d’obtenir leur rétroaction.
Quand il ne reste plus que la communication numérique
Faute de babillard ou de pauses-café où les membres auraient pu discuter négociation, il était essentiel d’avoir une liste d’adresses courriel complète pour tenir les membres au courant. Pour ce faire, les dirigeantes et dirigeants de la section locale ont téléphoné aux membres pour vérifier leurs coordonnées. Le recours à des outils comme Mailchimp a permis de gérer la liste et les envois. Le syndicat a pu en tirer des données sur les taux d’ouverture, par exemple, et a ainsi pu établir qui manquait à l’appel et qui pouvait être joint par téléphone.
Il n’y a rien comme un vote de grève auquel on n’est pas invité pour susciter chez les gens un sentiment d’opposition, tant à la grève qu’au syndicat en général. Les membres se sentent alors inutiles et laissés pour compte. Pour éviter l’opposition à la grève et au syndicat, il faut s’assurer de disposer d’une liste d’adresses courriel à jour complète.
Bâtir la solidarité virtuellement
La section locale a aussi tenu des assemblées pour informer les membres des négociations et discuter des stratégies de mobilisation. L’outil de sondage Zoom a bien servi pour prendre le pouls des membres sur les plans et les stratégies prévus. Les membres ayant voté contre une proposition étaient invités à faire part de leurs préoccupations afin que l’équipe puisse y répondre.
« Je crois que nos membres ne se sentaient pas écoutés par le BVG. Les membres ne se sentaient ni compris ni reconnus; il fallait que je les écoute attentivement pour gagner leur confiance et les assurer que leur avis serait pris en compte dans la stratégie de grève », explique Marie-Ève Tremblay.
Dans les réunions virtuelles, les membres qui auraient pu être mal à l’aise de s’exprimer à une réunion en présentiel pouvaient poser leurs questions et soulever leurs préoccupations grâce à la fonction de clavardage. Cet avantage indéniable du virtuel a ouvert de nouvelles possibilités en matière de participation.
Alex Silas, vice-président exécutif régional de l’AFPC-RCN ajoute :
« Après l’une de ces mises à jour sur les négociations, nous avons demandé aux gens s’ils avaient des questions. Comme personne ne répondait, j’ai leur ai plutôt demandé ce qu’ils ressentaient. La question a ouvert un espace de discussion où les membres ont pu exprimer leurs frustrations, leurs préoccupations, leurs doutes et leurs craintes. En virtuel, c’est difficile de lire la salle. C’est pourquoi il faut créer des occasions d’échanger avant de passer à la prise de décisions. C’est souvent dans cet espace de communication que les gens en viennent à passer à l’action. On a vu, par exemple, des membres se soutenir émotionnellement dans le clavardage. Ces espaces sont devenus importants dans le renforcement de la compréhension et de la solidarité au sein du groupe. »
Grève du zèle virtuelle
Peu après un vote favorable à la grève, les membres ont entrepris, le 26 novembre, une grève du zèle.
Faire la grève du zèle quand on est déjà isolés en télétravail relève du défi : comment rendre la participation des membres visibles pour contrer la crainte de certains de se retrouver seuls à agir? Incapable de vérifier si les gens quittaient bel et bien le travail et ne faisaient pas d’heures supplémentaires, le syndicat a organisé des rassemblements virtuels où les membres pouvaient échanger sur leur expérience des premiers jours et la réaction de l’employeur, et se soutenir les uns et les autres. Ces rassemblements ont aussi permis au syndicat de savoir qui participait à la grève, et quelles autres personnes pouvaient y être invitées par des démarches ciblées et des discussions individuelles.
Pour renforcer la confiance de ses membres et accroître les pressions sur l’employeur, la section locale s’est lancée dans une combinaison de grèves du zèle, stratégiques et générales d’un jour.

« Avec les membres, c’était difficile avant Noël. Nous avions juste WhatsApp et il n’y avait pas de réunions régulières avec les membres, alors nous avons commencé à en avoir en janvier, tous les lundis soirs, et cela a aidé à faire la différence », a déclaré Caroline Leclerc, présidente de la section locale 70153.
Mais après deux mois d’intensification des moyens de pression, les choses ne semblaient toujours pas avancer à la table de négociation.
« Le plus dur pour les membres, ç’a été d’en venir à la conclusion que l’employeur nous obligeait à cesser le travail. Nous avons dû nous rendre à l’évidence : il nous fallait en faire plus, sinon il ne se passerait rien », précise Corey McCormick, membre de l’équipe de négociation.

« Après deux mois et demi de grève du zèle, nous n’arrivions à rien, et prendre la décision de faire la grève sachant que les salaires seraient bloqués, sachant ce que nous demandions aux membres – la décision était lourde de conséquences et, pour moi, très difficile à prendre. Mais la grande solidarité et la réaction des membres ont été incroyables – tout le monde était prêt ! », explique Marie-Ève Tremblay.
« Si quelqu’un m’avait dit l’été dernier que nous allions faire grève, j’aurais dit, non, nous n’allons pas aller aussi loin. Mais ce n’est pas une surprise que nous l’ayons fait, car l’employeur est allé aussi loin dans la direction opposée », a déclaré M. Leclerc.

Grève générale virtuelle
« Le plus difficile a sous doute été de tout gérer à distance. C’était notre première grève virtuelle, et je pense que personne ne savait trop comment s’y prendre. Il y a eu beaucoup de tribulations au début, le temps qu’on détermine la façon d’organiser les choses. Il nous a fallu faire preuve de souplesse », raconte Marie-Ève Tremblay.
La ligne de piquetage virtuelle a suivi la couverture de tous les médias et tous les journalistes couvrant le dossier, dressé la liste des alliés, collaboré à plus de 20 projets, créé du contenu pour les médias sociaux et régulièrement lancé des avalanches de gazouillis, fourni du soutien aux communications, fait des centaines d’appels aux députés et écrit plus de 500 lettres, rencontré des députés, déposé des demandes d’accès à l’information, créé un livre de recettes de grève bien particulier, et créé une multitude de ressources et de compétences au sein de la section locale.
« Ce que je retire personnellement de la grève? J’ai acquis de nouvelles compétences, et le groupe aussi. Solliciter l’appui des députés, écrire des lettres, etc., beaucoup d’entre nous n’avaient jamais fait ce genre de choses », dit Corey McCormick.

Cependant, il ne suffisait pas de se concentrer sur la prochaine grande étape.
« Ce qui a été le plus utile dans notre environnement virtuel, c’était la création d’un espace sûr pour notre santé mentale. Je crois que les gens en ont grandement bénéficié. Chaque fois que j’y participais, j’étais agréablement surpris par l’ouverture et la bienveillance de nos membres qui cherchaient à s’entraider. Heureusement, parce que sans cet espace, la situation aurait été encore plus difficile à vivre. »
Lignes de piquetage hybrides
Si la majorité des membres du BVG travaille dans la région de la capitale nationale, certains sont installés ailleurs – à Montréal, Edmonton, Moncton, Saskatoon et Coquitlam. Pour chaque ligne de piquetage en personne, il fallait prévoir une activité virtuelle pour les membres se trouvant à distance, en plus de penser aux mesures d’adaptation nécessaires pour ceux et celles ayant un handicap, des responsabilités parentales ou encore un problème de santé.





En pleine pandémie, la section locale a dû prendre de multiples précautions (masques, distanciation physique, etc.) et veiller à ce que personne ne présente de symptômes ni n’ait été en contact étroit avec un cas confirmé.
Qu’il s’agisse de la hausse des cas de contamination par Omicron, en janvier, ou du convoi qui s’est installé au centre-ville, en février, « les astres n’étaient jamais alignés pour nous, les obstacles se succédaient, que ce soit la pandémie, le convoi, la fermeture du centre-ville…, rappelle Corey McCormick. La situation nous a demandé beaucoup de planification, puis du recul, puis de la planification encore. »
Les membres sur la ligne de piquetage virtuelle ont soutenu et relayé la ligne « physique » au moyen de vidéos en direct diffusées sur les médias sociaux de l’AFPC-RCN. Ces membres « voulaient tellement aider malgré la distance; pouvoir voir ce qui se passait et sentir notre énergie leur a donné la force de poursuivre leurs efforts en mode virtuel », explique Marie-Ève Tremblay.
Les lignes de piquetage en personne ont ciblé, tour à tour, différents décideurs, les exposant pour leur rôle dans la grève. Le BVG blâmait le Conseil du Trésor parce qu’il ne lui donnait pas le mandat qui mettrait fin à la grève, alors le BVG et le Conseil du Trésor, y compris le bureau de circonscription de sa présidente, Mona Fortier, dans Vanier, sont devenus les cibles des lignes de piquetage et de nos médias sociaux. Nos membres ont publié sur les médias sociaux des mèmes hilarants soulignant l’absurdité de ce jeu de patate chaude.
Les joies de la grève
Les membres se sont bien sûr heurtés aux aléas propres aux grèves : des messages inopportuns de l’employeur suggérant que le syndicat ne dit pas toute la vérité à ses membres, ou le fait que l’employeur avait des informateurs lui rapportant nos stratégies et nos plans. Ces agissements traditionnels se sont donc ajoutés à notre gestion de grève en pleine pandémie.
« Chaque communication de l’employeur semait davantage la confusion et la division dans nos rangs – cette tactique est bien connue –, mais en dépit de nos efforts, nos membres en sont venus à douter de nous », explique Corey McCormick.
La section locale a su vite s’adapter à ces communications de l’employeur et a organisé des rencontres virtuelles où l’équipe de négociation et le négociateur de l’AFPC répondaient aux préoccupations et aux questions des membres. Un vendredi en particulier, plus de 100 personnes ont participé à une telle rencontre d’urgence. Rapidement, de la confusion sont nées la détermination et la frustration devant les tentatives de division de l’employeur.
Des membres ont aussi subi des pertes financières, et les fonds de la section locale ont fondu. Pour Corey McCormick, le plus difficile a été d’être témoin des « difficultés financières des membres et du stress qu’elles ajoutaient dans tellement de sphères de leur vie ».

Marathon de négociations
Compte tenu du nouveau mandat du Conseil du Trésor et quelques retards inutiles à la table, l’équipe de négociation s’est trouvée prise dans un véritable marathon. Son record : 33,5 heures de négociations en trois jours.
Pendant ce temps, nos membres continuaient de piqueter à l’extérieur du BVG pour encourager l’équipe.
« Arriver sur place et voir tous les membres nous y attendre, quelle motivation! L’esprit d’équipe et la solidarité des membres au quotidien, et jusqu’à la fin, ça n’avait pas de prix », affirme Marie-Ève Tremblay.
Le BVG attendu de pied ferme à la prochaine ronde
La parité salariale figurait parmi les principales revendications de la section locale; il y a bien un protocole d’entente qui prévoit la poursuite des discussions, mais le problème n’est pas réglé.
Toutefois, forts de leur dévouement, de leur solidarité et de leur grand engagement, à la prochaine ronde de négociations, si les membres tirent des leçons de leur expérience, la question ne sera plus tellement de savoir « si », mais « quand » la parité sera obtenue. Et l’employeur en est sûrement bien conscient.
« Notre plus grande victoire, c’est la solidarité », déclare Alex Silas.
« Les augmentations économiques et la grille salariale que nous avons obtenues pour l’ensemble de nos membres, quels gains! C’est une énorme victoire pour chacun des membres de notre communauté. Dans l’ensemble, l’entente est équitable », commente Marie-Ève Tremblay.
Quant à Corey McCormick, il se prépare déjà aux négociations à venir. « L’offre était assez intéressante pour qu’on mette fin à la grève et qu’on retrouve nos esprits, qu’on se refasse des forces et qu’on se prépare en vue de la prochaine ronde. »
Interrogé pour le présent article, Corey McCormick a déclaré : « J’espère qu’on publiera nos remerciements à l’AFPC et au SEN pour leur soutien tout au long du processus, ainsi que nos félicitations à l’équipe régionale qui a bien tenu son bout. Le leadership et les conseils dont nous avons bénéficié pendant ces moments difficiles nous ont été très précieux. Et la présence d’Alex dans la rue, à nos côtés, pour appuyer notre démarche a créé un environnement très positif. À tous ceux et celles qui nous ont aidés, un grand merci. »




