avec Franck Binard
Question : Que pouvez-vous nous dire du rôle de l’AFPC le 19 octobre dernier?
Nos membres étaient mobilisés et savaient ce qu’ils avaient à faire. Le cri de ralliement avait clairement été entendu : le 19 octobre, il fallait faire tomber le gouvernement Harper. Les campagnes des deux dernières années – On est tous touchés ou Arrêtons Harper, par exemple – brandissaient le même message. Et c’est là l’intéressant du point de vue de la stratégie de communication. Nous avons mis l’accent sur les coupes dans les services publics et leurs effets désastreux sur la population canadienne plutôt que de s’en prendre à la dégradation des avantages sociaux. Dans nos messages, il n’était pas tant question de se débarrasser du gouvernement Harper que de sauver les meubles, autrement dit, ce qui compte pour les Canadiennes et les Canadiens. Nous avons mis en lumière les services essentiels où les coupes faisaient le plus de mal : inspection des aliments, protection de l’environnement, services aux anciens combattants, services de recherche et de sauvetage en Colombie-Britannique et à Terre-Neuve. Il fallait stopper la machine!
Nous n’avons pas cessé de marteler notre message. À l’arrivée de l’été, nous avions le soutien de nos membres, malgré une certaine hésitation qui était encore palpable. Depuis toujours, les travailleurs de la fonction publique luttent pour obtenir de meilleurs avantages dans leur convention collective. Pour la première fois, le syndicat les incitait à prendre position politiquement, et ce, dans le but précis de changer de régime. Si cette façon de faire est chose courante ailleurs au monde, elle est sans précédent au Canada. Le désir de faire disparaître le gouvernement Harper a mobilisé les mouvements partout au pays. Au bout du compte, ce sont l’idéologie et le dogmatisme du gouvernement Harper qui nous ont unis dans la lutte. Nous n’avions plus le choix, car il était clair que le syndicat et tout le mouvement syndical étaient en péril.
Rendre le gouvernement incapable de remplir son mandat premier, soit celui d’être au service des Canadiennes et des Canadiens, a été au cœur du programme du gouvernement Harper. Un programme animé par une politique d’austérité, elle-même guidée par les très grandes sociétés. On sait que les grandes fortunes appartiennent à 1 % des plus riches de la planète. Une politique d’austérité a pour effet d’enrichir encore plus cette frange de 1 % au détriment de la classe moyenne. Il faut à tout prix y mettre un frein. Lorsque Mulcair a proposé de faire passer l’impôt des sociétés de 15 % à 17 % dans le but d’assurer l’équilibre budgétaire, il s’est fait crucifier par les médias. Ce sont d’ailleurs les grandes sociétés qui sont à l’origine de cette attaque en règle. L’ironie du sort a voulu que les libéraux y voient une occasion : se servir de la politique d’austérité contre le NPD. Trudeau a vite compris qu’il devait ménager les intérêts des grandes sociétés s’il voulait gagner les élections. Il a donc choisi de présenter un budget déficitaire pour les trois premières années de son mandat, avec un retour à l’équilibre à la finale. M. Trudeau est à la tête d’un parti de l’establishment politique. Il a donc pu s’en tirer en proposant des déficits. Or, si le NPD avait fait pareil, il aurait été matraqué par les grands du monde financier et les partisans de l’austérité. Le NPD s’est trouvé acculé au pied du mur.
Question : Récemment, l’Institut Macdonald-Laurier – qui à toutes fins utiles se place étroitement à côté de l’institut Fraser et de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, sans parler du Parti conservateur – a publié un article qui s’en prend violemment à l’utilisation prétendument abusive des congés de maladie par les fonctionnaires. Cet article a clairement un objectif politique : influencer le public canadien et le nouveau gouvernement avant les prochaines négociations collectives de la fonction publique fédérale. Cette pratique n’est que la continuation des stratégies auxquelles les conservateurs ont régulièrement eu recours. Est-ce que ce genre d’article vous inquiète? Doit-on craindre que le gouvernement libéral se transforme en gouvernement Harper bis?
D’abord, il faut dire que cet article est incorrect à plusieurs égards. En particulier, il omet de dire que l’étude couvrait tous les paliers de gouvernement : fédéral, provinciaux et municipaux. De plus, il faut se rappeler que dans le secteur privé, il n’y a souvent pas de conventions collectives donnant droit à des congés de maladie.
Je garde un œil sur les libéraux, car chat échaudé craint l’eau froide. Je ne pense pas que nous pourrons revenir à la situation d’avant les conservateurs. Par contre, nous sommes maintenant en mesure d’agir pour regagner du terrain et forcer un certain retour en arrière. Notre rôle est de pousser ce retour en arrière le plus possible. Je me rappelle qu’en 2004, c’est bel et bien un gouvernement libéral qui a passé la Loi sur la modernisation de la fonction publique. Cette loi consacrait le principe du best fit, un terme beaucoup plus approprié que la traduction française « le candidat le mieux approprié », qui ne veut pratiquement rien dire. Cette loi mettait fin au principe de l’embauche basée sur la compétence et le rendement pour le remplacer par des méthodes d’embauche subjectives fondées sur des principes vagues et vides de sens. Le best fit ouvre la voie au népotisme, au favoritisme et à l’adoption de pratiques d’embauche injustes où les alliés (personnes qui pensent de la même façon), amis, et membres de la famille dans certains cas, peuvent se faire engager sous prétexte qu’ils seraient « mieux appropriés ».
L’adoption de cette loi étaient soi-disant motivée par l’objectif d’aligner les pratiques du secteur public sur celles du privé afin d’offrir une meilleure flexibilité aux gestionnaires. Dans les faits, cette loi fournit aux gestionnaires des moyens de contourner l’embauche fondée sur le rendement. J’aimerais qu’on retourne au principe du mérite et qu’on garantisse une évaluation objective des candidats à des postes de la fonction publique.
Question : Il est clair que les libéraux pourraient être tentés de recourir à certains procédés auxquels les conservateurs nous ont habitués. Mais pour revenir à notre question, comment allez-vous faire pour vous assurer que les libéraux tiendront les promesses qu’ils nous ont faites en contrepartie du soutien que nous leur avons apporté pour les porter au pouvoir?
Réponse : Au cours des prochains mois, on va commencer par régler la question des conventions collectives en mettant l’accent sur les congés de maladie. On va également surveiller les gestes des libéraux et leur demander d’en rendre compte. Pour revenir à l’article, notre stratégie est de ne pas répondre aux attaques de la droite, et de gagner nos batailles à la table des négos. Il faut préciser que cette étude ne vient pas du gouvernement, mais du secteur privé. Je pense que tout est relié. L’austérité, notamment, est un système qui profite aux grandes entreprises, le 1 %. Si vous étiez riche avant les conservateurs, après dix ans de leur régime d’austérité, vous l’êtes encore plus. Évidemment, c’est très payant pour le 1% d’attaquer sans relâche le secteur public et de réduire le taux d’imposition. Nous avons les moyens de recréer le degré de mobilisation d’avant les élections, en faisant, par exemple, le lien entre l’austérité et d’autres mouvements, comme la lutte contre les changements climatiques. Aujourd’hui, nous avons un gouvernement qui dit vouloir changer d’approche dans ce domaine, mais l’austérité et les changements climatiques vont main dans la main. En effet, les entreprises du secteur privé qui profitent des politiques d’austérité sont aussi celles qui ont intérêt à ce que la lutte contre les changements climatiques n’aboutisse pas.